La halle verrière… les métiers…


Le maître verrier était bien souvent originaire des pays de l’Est ou allemand de Bohème, de Bavière ou de Saxe, quoique de plus en plus de gens du pays, formés dans l’usine, devenaient maintenant des maîtres à leur tour. Sur sa « place », deux mètres carrés peut-être, il commençait son travail d’art verrier sur la pièce. Le souffleur réalisait le cueillage, dans le pot, on dit aussi le creuset, à la main, et maintenait en l’agitant avec toute son adresse professionnelle, la paraison (la masse de verre en fusion) pendant son transport vers le moule. Une fois soufflée, formée dans le moule, la pièce était présentée au maître qui l’analysait sous toutes ses facettes, regardait directement si oui ou non il y avait déjà des défauts de soufflage, des « bulles » comme ils disent, des impuretés dans la masse en fusion.

Puis il la faisait tourner devant ses yeux sous l’action de sa paume qui roulait la pipe, la canne dit-on aussi, à laquelle la pièce en cours était toujours encore attachée, sur son « métier ». Sa »place » consistait en deux poutrelles entre lesquelles il était assis parallèlement sur un « bänkel », un tabouret trépied, ou encore un simple banc en planches, ses genoux juste en dessous de la pipe tenue horizontalement et perpendiculaire aux poutrelles.  Sur le côté travail, gauche ou droit, se trouvait un réceptacle rectangulaitre aux bords grossièrement relevés et soudés sommairement, en tôle, où tombaient les bouts de cristal fondants coupés  sur la pièce.

Tous les soirs, un peu avant la sirène, ce bac muni de poignées de transport à peine protégées et qui souvent griffait ou coupait les mains, était vidé sur les tas de cristal concassé, à l’arrière de la halle, et ce cristal une fois finement broyé allait être réutilisé en quantité réduite dans les nouveaux mélanges pour le remplissage des creusets de cuisson. Voilà encore une autre des multiples activités journalières des gamins verriers.

Le cristal en fusion, la paraison, tournait, éblouissant, fascinant de beauté et la vitesse de rotation impulsée par le maître lui donnait rapidement sa forme définitive. Il fallait couper, cisailler, tapoter, de temps à autre ajouter de la matière pour combler les aspérités, lisser, détendre, assouplir pour mieux lisser encore ou combler les endroits légèrement bosselés ou creux. De temps à autre le maître ajoutait aussi son souffle via la pipe dans la masse de cristal en travail pour lui redonner du contenant et ainsi continuer son travail…

Là, l’importance du gamin est incroyable, et on sent son utilité évidente. Sa présence constante et son attention incessante sont requises, car il n’y a pas de période d’arrêt dans la réalisation. Le travail doit couler, être fluide, pour ne pas que la pièce se déforme ou se déchire, ceci serait fatal à celle-ci et elle irait directement au rebut. L’opération d’adjonction de la tige plus ou moins longue suivant le type de verre, puis le collage, dirons-nous, du pied sur la tige, était la plus risquée.

Le gamin tendait une canne avec une certaine quantité de cristal en fusion au maître et celui-ci, à l’oeil, savait quand il « était servi » et coupait la matière d’un geste certain et professionnel en la posant délicatement sur le fond du verre et finissait ensuite de la modeler. Puis, il reprenait du cristal fondant pour plaquer en la centrant bien, la petite masse au bout de la tige il ne fallait pas rater la forme et le bon arrondi extérieur du pied, c’est de là que provenait l’équilibre du verre à pied. 

 Etre gamin, voilà le rêve de beaucoup de très jeunes garçons, qui tous les jours allaient travailler fièrement dans la halle à verre, à cette époque là. On commençait à travailler, durement même, dès l’âge de quatorze ans en quittant des fois prématurément les bancs râpés de l’école du village.

J’ai toujours trouvé cette appellation de métier très adaptée et unique, en fait un gamin c’était, c’est toujours encore, tout simplement un porteur de travail et par la force des choses, un apprenti, un aide, un soutien qui était en pleine possession de son avenir de futur maître verrier. Il n’y avait, pas encore, de filles voulant s’attaquer à ce métier, ce n’était pas vraiment volonté paritaire. La fille restait avec maman pour apprendre un « métier » ou avoir une occupation de femme plus tard.

Evidemment, pas tous les jeunes hommes n’accédaient à la maîtrise, il fallait aussi être artiste, ne l’oublions surtout pas.

Quand le maître verrier, qui travaillait comme le souffleur, les mains nues, une question de sensation avant d’être un problème de sécurité, avait fini son travail à façon, il détachait la pièce calottée de la pipe en la tapotant avec l’outil adapté et de suite le gamin emportait le gobelet ou le verre à pied, en utilisant une fourche à deux bras gainés de tissus d’amiante, dans laquelle se lovait la pièce finie. Il l’emmenait à l’arche, le refroidisseur, sorte de tapis roulant qui cliquetait dans un des angles de la halle verrière.

A l’époque, celui – ci était encore activé manuellement à l’aide d’une manivelle, là encore une responsabilité qui incombait aux gamins. Le tapis roulant était entouré de brûleurs et permettait la lente baisse de la température jusqu’à ce que la pièce brute fût transparente et claire, finie en quelque sorte.  La pièce, verre à pied, gobelet, après une phase de refroidissement dont la durée était dépendante de sa nature, de sa forme et de son épaisseur aussi, allait être stockée en caisses de bois superposables et à compartiments plus ou moins grands. Cela permettait leur manutention sans grand danger de les entrechoquer, en attendant les opérations suivantes, qui sont le décalottage, le polissage, la taille ou la gravure…

…/…

à suivre…

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13 commentaires pour La halle verrière… les métiers…

  1. noelle dit :

    Qui aujourd’hui remplace le gamin ? belle écriture Doume, fluide, et tu as le sens du détail ! j’ai lu et tout vu ! j’étais dans la pièce avec eux….
    Merci
    Bonne soirée, bisous

    • domidoume dit :

      Nono je réponds à tes deux coms… Le gamin existe toujours, il est appelé cueilleur de temps à autre ce qui est dû à son activité d’aide au maître verrier. Par contre aujourdh’ui beaucoup de « places » sont attribuées et les souffleurs cueillent eux mêmes et soufflent et c’est aussi eux qui avec le gamin aident à la finition… mais il y a encore des suites à venir… En tous cas merci à toi !

  2. Oh là lààà ! Tu nous racontes tout si bien, Doume, qu’on ne trouve pas de questions de plus, pas « encore ». ça n’était certes pas un travail facile ! combien de temps ça prenait, pour faire un verre ? et un service ? comment réussissait-on à faire, à la main, 6 ou 12 ou 24 pièces semblables ?? Les voilà, mes questions.
    Et toi, y as-tu travaillé, « au verre » ?

    • domidoume dit :

      Anne, le temps de faire un verre moyen, on dira maximum deux minutes et c’est fonction de la grandeur, plusieurs verriers travaillaient sur les mêmes verres, les services,une tige simple c’est quelques secondes, il suffit d’avoir déposé le cristal en fusion nécessaire et hop ; pour le pied quelques secondes et puis c’est question de métier , c’est à l’expérience et à l’oeil du maître… Pour les faire semblables ? : une excellente question et j’en parlerai quand nous arriverons au « contrôle » et au « tri, le « choix » comme on dit…encore aujourd’hui.j’en suis au prochain épisode qui aborde un tantinet les techniques…
      Anne merci vraiment de ton enthousiasme, flatté le Doume, je te le redis ! Et, tu n’y es peut-être pas pour rien !
      😉

  3. noelle dit :

    j’avais laissé un com hier soir ?

  4. jeandler dit :

    Métier de tradition, métier d’art, et le vocabulaire qui accompagne, d’une finesse, d’une précision extrême, décrivant chaque geste, chaque action, chaque moment. Une merveille. Un texte magnifique et sans emphase: un texte juste et vrai.

  5. alsacop dit :

    Agréable à lire, facile à comprendre….Parfaite représentation, j’imagine un peu « La Halle…. »
    Je pense aussi au travail de ces enfants !

    • domidoume dit :

      « enfants » d’aujourd’hui oui, enfants à ce moment là j’en doute, nous avons tous des souvenirs oraux qui attestent du contraire… il fallait travailler pour vivre, aujourd’hui même à l’école il faut être regardant à ne pas bousculer nos chers anges… je me souviens de mon adolescence et je ne vois plus du tout de comparaison… voilà un vrai sujet de réflexion non ?
      les « gamins » de l’usine en sont un témoignage mais n’oublions pas que l’on pouvait rester gamin très longtemps, par faute de capacité certainement mais aussi de volonté…
      merci Alsacop « d’imaginer » car une particularité ici ce sera : pas de photos…
      Bon dimanche (d’ici quelques minutes sur « les yeux dans… »)

  6. Louis-Paul dit :

    Comme Noëlle, cette impression d’être là dans la pièce! Et si je te dis que je me suis « fait » mon film, mes propres imagers mentales, prends le comme un compliment à ton écriture; c’est très réussi ce pari de texte sans photos cher Doumé.

  7. domidoume dit :

    Salut LP, pas eu beaucoup de temps vu que ma principale activité m’ a à nouveau capturée… le boulot.. mais je sens que tu aimes et je tiens à te remercier. Tu le sais bien, la lecture est une forme d’évasion grâce à l’imagination.. enfin pas toute lecture il s’entend…en regardant ici ce matin je remarque aussi que « certaines lectrices » ou « lecteurs »présumées assidu(e)s manquent de commenter… c’est surprenant mais là aussi : elles sont très occupé(e)s et n’ont pas le temps…
    excellente fin de semaine et déjà demain c’est lundi…
    nb : le prochain épisode parlera encore des « métiers et des techniques » puis nous reviendrons aux personnes qui me sont chères et à leurs vies..

  8. noelle dit :

    Je passais…un peu de retard ?
    Bises Doume

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