L’usine…la halle verrière…


Le papa de Louise était potier, étrange travail en usine, mais dans une cristallerie, qualifiée longtemps de « royale » de surcroit, il en existait quelques-uns. Ce métier, car c’en est un même en usine, et très spécifique en plus, consistait et consiste toujours à construire, à former des pots de cuisson pour le cristal.

Ces grands pots en argile étaient réalisés sur un socle oblong de presque un mètre sur environ la moitié de large et d’une hauteur approchant le mètre aussi. Ils servaient à recevoir les composants secs du cristal, comme le sable blanc, et le plomb, tout comme l’addition de certains composants dangereux dont l’arsenic… Ces produits une fois chargés dans le pot étaient amenés, dans ce pot et à l’aide de charriots de fer vers le sous bassement du four dans lequel se trouvait le foyer, qui chauffait à plus de 1600 degrés, vu que le cristal est en fusion à la température d’environ 1500 degrés. Un four de forme extérieure ronde, plus ou moins hexagonale ou octogonale, contenait six à huit compartiments à pots.

Les travailleurs chargés de la mise en place de ces pots dans le four étaient de vrais « forçats » en patois lorrain on les appelait les « schmelzer » traduit littéralement cela veut dire les « fondeurs »… car il fallait vouloir faire ce travail, aux températures ambiantes dont on parle. Ils étaient quasi nus sous des capes en tissus d’amiante qui trainaient quasiment parterre, les moufles à manchons assorties, de même que de grands chapeaux descendant jusqu’aux épaules, des masques protecteurs couvraient leurs visages de la chaleur et des projections possibles et fréquentes. Dès que le pot était soulevé par les bras des charriots à deux roues en ferraille, les fondeurs se mettaient à deux voire quatre pour pousser le nouveau chargement vers l’entrée du four où se trouvait son logement et l’y sceller rapidement en le fixant définitivement avec des briques et un mélange de ciment et d’argile.

Auparavant, les pots une fois chargés des matières premières, étaient fermés par des couvercles demi-ronds. Ceux-ci, une fois en place étaient scellés dans la face avant du pot, ouverte de la même façon adaptée au couvercle, avec de l’argile fraîche, un peu comme on obture une terrine en boulangerie.

Plusieurs fois aussi il fallait alimenter le feu dans la journée, avec le bois. Le foyer de chauffe du four était, à cette époque là encore, à base de bois, du hêtre majoritairement, le sapin, l’épicéa dégageait trop de résine et fumait beaucoup. Le village se trouvait encastré au fond d’une vallée et était entouré de forêts sur des hectares de terrains qui étaient propriété des critalleries. L’usine s’était appropriées toutes les forêts environnantes, par décret royal au XVIIème siècle… oui cela datait de bien longtemps.

Elle employait donc aussi un bon nombre de travailleurs forestiers, des bûcherons et des responsables de plantations et de nettoyage des forêts. Les transports de bois se faisaient à l’aide de boeufs et de chevaux de trait. Beaucoup de paysans avaient choisi au fur et à mesure de l’expansion de « la bête », de se recycler dans ce type de travail rémunéré un peu mieux mais souvent plus dur.

Quelques années plus tard, au XXème siècle le chauffage se fera au charbon ou au coke en provenance des proches mines de charbon de la région sarroise et plus tard, de Merlebach, Forbach à mi chemin de la région messine. Metz, allemande, n’ était pas trop éloignée de la « France » de l’époque, la Meuse et la Meurthe et Moselle ayant toujours gardé leur appartenance française. Les mineurs de charbon, corps de métier dont certains habitants du village de Joseph et Louise firent partie, donnaient donc aussi de leur sueur et efforts pour permettre aux cristalliers de subsister et de faire leur travail, ou devrait-on dire, de pratiquer leur art ?

Après une longue période de chauffe, le pot devenu tout rouge et terriblement chaud, ce qui était dû au cristal en fusion, était ouvert par les verriers, et là commençait le ballet journalier et incessant des gamins cueilleurs, avec leurs pipes et les jeux de lumières incandescentes à bout de bras des souffleurs de verre.

Pour être souffleur, il fallait plusieurs années de formation et une sacrée cage thoracique, des poumons en bon état et une force physique assez importante. Le souffleur de cristal s’approvisionnait dans le four et bien évidemment devait avoir très bien assimilé le métier. Il fallait le coup de main pour préparer la masse en fusion pour le maître verrier qui lui travaillait le cristal en fusion déjà préformé dans des moules le plus fréquemment. Il lui fallait procéder en plusieurs étapes, aidé en cela par le gamin qui lui portait de temps à autre du matériel en fusion pour compenser, compléter la réalisation. Le maître utilisait des sabots de forme, des louches, des coques, qui permettaient d’arrondir, des pinces pour aider à étirer la masse en fusion, divers bouts de bois, de cuir plats, des ciseaux et d’autres accessoires bien propres à son métier d’artiste.

A l’époque dont nous parlons, la principale réalisation consistait en fabrication de plaques de verre à vitre et aussi de gobelets à boire. Il n’y en avait pas que des ronds mais déjà certains verres évasés à pied se fabriquaient, mais étant très fins, personne n’aimait les faire. Aujourd’hui leur rareté leur confère un statut de verres de collection assez élevé.  

Le type de production évoluait assez rapidement en ce début de siècle et de plus en plus de demandes et de références devenaient nécessaires.  Les prévisions de fabrication et les modèles nouveaux émanaient principalement de clients et créateurs attachés à la bourgeoisie parisienne, des grandes villes en général et surtout d’Angleterre où le cristal connaissait déjà un essor de loin supérieur à la France… La cour d’Angleterre était grande consommatrice de vaisselle en cristal.

En tous cas, les « patrons » étaient déjà en recherche constante pour dynamiser la production et assurer le futur. D’ailleurs, dans son histoire, déjà ancienne, la cristallerie a été confrontée souvent à des difficultés d’existence, mais on a toujours su se moderniser, changer et survivre.

Mais Dieu que cette période d’annexion germanique était rude et l’on ne savait pas vraiment où les choses allaient réellement s’orienter. Tout le monde était néanmoins au travail et gagnait péniblement sa vie, ce qui n’empêchait pas les familles du village très dépendantes de l’usine, de vivre pleinement et heureuses. Les familles de Louise et Joseph en étaient.

…/…

à suivre…

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25 commentaires pour L’usine…la halle verrière…

  1. noelle dit :

    Dure vie des fondeurs ! on a vu sur ton blog de superbes photos du travail des souffleurs , on « souffle » toujours de la même façon?
    à suivre…merci Doume

    • domidoume dit :

      Les « fondeurs » existent encore c’est mécanisé aujourd’hui, les potiers aussi continuent de faire leurs pots, les souffleurs, sont aussi encore très présents et le métier de maître verrier est très recherché, il vient des jeunes de partout en France, il existe des écoles de formation, dont une à Moulins qui a toujours été un réservoir de jeunes garçons et filles pour l’usine.
      Bon dimanche à toi Nono !!
      D.

  2. Je suis impressionnée ! Quelle vie ce devait être…..c’est très vivant, on ne lâche pas avant la fin, j’aime bien tes « tranches de vie » !

  3. Jipes dit :

    Une autre époque dont on peut regretter le savoir faire manuel mais en même temps les conditions de travail étaient tellement difficiles que le progrès a quand même fait du bien

    • domidoume dit :

      Tu sais Jipes, aujourd’hui le métier traditionnel de verrier ne s’est agrémenté de technique qu’au niveau de la fusion de la matière. Pour ce qui est des autres métiers, les souffleurs utilisent toujours les mêmes outils et les maîtres verriers aussi, il y a toujours des gamins…
      merci l’ami… de ta visite..
      D.

    • domidoume dit :

      J’ai d’ailleurs vu un jeune verrier actif à Kaysersberg… il travaillait pas mal..
      c’était il y a déjà 3 ans…
      Bonne journée Jipes

  4. Jean dit :

    Bonjour
    Je suis né pas très loin de la cristallerie de Bayel… mais je n’ai jamais visité…
    Jean

    • domidoume dit :

      une autre cristallerie royale Jean, de belles choses ont été faites là bas.. art verrier ! je sais qu’il y a un musée, la cristallerie fonctionne-t’elle encore ?
      merci de l’info..
      D.

  5. alsacop dit :

    Belles descriptions…Ce boulot de « schmelzer » hyper dangereux mais noble.
    La vie au boulot est plus simple actuellement même chez France Telecom !!

  6. alsacop dit :

    Se souvenir aussi du prix humain, des sacrifices….Pour générer les profits des « patrons » du début du siècle dernier.

  7. jeandler dit :

    Industrie de luxe dont on ne connaît (et reconnaît) que le côté artistique
    tout en oubliant l’art et la manière
    la souffrance des artisans.

    • domidoume dit :

      C’est vrai Pierre, et dans beaucoup de familles, la mienne aussi, des souffrances sont incrustées. Comme le dit Alsacop il y a eu beaucoup d’accidents graves, beaucoup de maux psychologiques aussi…nous en sommes au deuxième chapitre… merci de ton soutien !

  8. Océane dit :

    Je découvre ton autre écriture 🙂 Et j’en suis ravie !

  9. Louis-Paul dit :

    J’ai lu chez Anne que tu aurais bien aimé plus de com mais (sourire) comment veux-tu que je te lise après avoir lu la note fleuve de la déjà nommée!!!
    En fait j’ai décidé que tes tranches de vie seraient parmi mes lectures du week-end mais je ne t’oublie pas Doume! Allez, belle soirée, à bientôt.

  10. Louis-Paul dit :

    Voilà Doume, la lecture du matin, bien reposé, est vraiment plus profitable que celle du soir…
    J’ajoute que j’apprécie tes récits, belle fin de semaine.

  11. Godnat dit :

    J’ai attendu d’avoir le temps de déguster tes textes. C’est un autre monde pour moi, je sais si peu de ce qu’ont pu vivre mes ascendants, même si je connais certains de leurs métiers, couturière, peintre en bâtiment, paysans…
    C’est beau la tradition orale ! Merci pour le partage.

    • domidoume dit :

      c’est vrai que longtemps j’ai pu garder des contacts avec mes grands parents mais surtout mes oncles et tantes…et ce qui est bien, c’est de s’intéresser à l’entourage de nos anciens … j’aime ça… mais je me rends compte aussi que ce n’est pas chose aisée de mettre en page… merci de ta fidélité Nath… j’apprécie beaucoup !

  12. Rosa dit :

    Je comprends d’où vient ta passion du cristal, passion que je partage…
    Le cristal, c’est l’éloge de la fragilité… C’est par cette métaphore qu’Axel Khann, le scientifique, a ouvert un colloque sur la fragilité psychique ou… fragilité humaine

    • domidoume dit :

      hier par deux fois j’ai parlé de cette cristallerie une fois avec un ancien collègue de travail et ensuite avec ma médecin du travail…et comble de bonheur hier soir, grâce au « replay tv » j’ai regardé l’émission de Petirenaud que nous avions ratée dimanche passé sur France 5 et il était au Bitcherland et là cochonailles, choucroute, charcuterie et vaisselle unique en cristal de « chez moi », même en pleine forêt ! J’ai été ravi.
      Merci Rosa de ton intérêt…

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